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Travaux pratiques d'expérimentation humaine : montage d'une
manip de restauration phonémique
Christophe Pallier1
Un stimulus sonore est transmis par un signal acoustique, c'est à dire
une onde longitudinale de pression. Celle-ci fait vibrer le tympan,
dont le mouvement est transmis à la cochlée par les osselets situés
dans l'oreille moyenne. Un son peut être engendré, par exemple, par le
déplacement de la membrane d'un haut-parleur ou par les vibrations des
cordes vocales ; il peut être recueilli par la membrane d'un micro et
transformé en potentiel électrique.
Figure 1: Oscillogramme et spectrogramme d'une onde acoustique correspondant à un morceau de phrase
Figure 2: Anatomie de l'oreille
Figure 3: Voies auditives
1 Premiers pas avec l'éditeur de son Praat
Pour créer ou manipuler des stimuli sonores, on peut utiliser
l'éditeur de son Praat
développé par Paul Boersma and David Weenink de l'université
d'Amsterdam.
Téléchargez « Praat » sur le site
http://www.praat.org
Exercise 1
Cliquez sur le menu
"New/Sound/Create Sound" puis sur le bouton "Ok".
Ecoutez et visualisez le son "sineWithNoise" (fonctions
"Play" et "Edit"). Calculez et affichez son
spectre (Spectrum/To Spectrum). Quelle est la fréquence du
ton pur inclus dans le bruit de fond ?
Exercise 2
Créez des tons purs de frequences 64Hz, 128Hz, 256Hz, 512Hz,...
8192Hz. Connaissez-vous les fréquences audibles par l'humain ?
Exercise 3
Créez un ton pur de 400 Hz et
un ton pur de 410 Hz de 1 seconde et donnez leur les noms 't400' et
't410'. Additionnez-les en tapant la formule suivante (dans
New/Sound/Create Sound):
Sound\_t400[col]+Sound\_t410[col]
Visualisez le signal et le spectre.
Exercise 4
Enregistrez un signal de parole si vous avez un micro (Sinon chargez
le fichier phrase1.wav). Remarquez que la
qualité de la reproduction d'un son digital dépend de la fréquence
d'échantillonage et de la résolution (8,16,24 bits).
Utilisez "To Manipulation" pour modifier la hauteur de la voix.
2 La robustesse du signal de parole
L'intelligibilité de la parole est remaquablement robuste aux
distortions du signal acoustique.
Par exemple, le signal de parole utilise essentiellement les
fréquences comprises entre 100 et 5000 Hz, mais on peut supprimer une
large partie de ces fréquences et le signal demeure compréhensible
[Fletcher, 1929].
Exercise 5
Filtrer une phrase entre 0 et 1000 Hz, puis entre 1500 et 5000 Hz,
en utilisant: Filter/pass-band. Essayez d'autres
bande-passantes.
On peut écréter le signal, voire le discrétiser
complétement (remplacant les valeurs positives par +1 et les valeurs
négatives par -1) [Licklider, 1946,Licklider, 1950], et il demeure
compréhensible.
Exercise 6
Redresser le signal: Modify/formula: 0.2*abs(self[col]) puis le
dichotomiser: Modify/formula:
if self[col]>0 then 0.2 else -0.2 endif
Quand on interrompt ou qu'on inverse le signal dans des tranches de
plusieurs dizaines de millisecondes, la compréhension peut demeurer
très bonne Miller and Licklider, [1950,Saberi and Perrot, [1999].
Exercise 7
Observer qu'une phrase complétement renversée temporellement est
incompréhensible
Exercise 8
Implémentez les manipulations décrites dans Saberi and Perrot, [1999] (the pdf
is here). (pour le
renversement temporel consulter "Help/formulas tutorial").
Confirmez-vous leurs observations ?
Cela suggère que le signal de parole est très redondant, et
aussi, sans doute, que le cerveau « va au delà » des données, c'est à
dire interprète un signal incomplet.
L'un des arguments les plus souvent cités en ce sens est le phénomène de
restauration phonémique mis en évidence par Warren, [1970] .
Il s'agit d'une illusion dans laquelle on entend des sons de parole
qui ont en fait été « enlevés » du signal et remplacés par du bruit
blanc. Typiquement, les personnes décrivent entendre une phrase intacte
avec un bruit superposé.
- Ouvrez le fichier son modif.wav (Menu
"Read from file") et écoutez-le plusieurs fois (Bouton
"Play"). Décrivez votre impression.
- Téléchargez les fichiers modif_nonoise.wav
et intact.wav et écoutez-les.
- Visualisez les fichiers sons précédents (Bouton
"Edit"). Visualisez le spectrogramme.
- remplacer par un bruit blanc un autre segment de la phrase
intact.wav, d'un des fichiers ph*.wav sur le site
http://www.pallier.org/ressources/tpexp2/, ou d'une autre phrase que vous
enregistrerez (Menu New/Record mono sound).
Note: Utiliser les fonctions Cut/Copy/Paste de la fenêtre
d'édition. Pour créer un bruit blanc: New/Sound/Create Sound,
puis:
formula=randomGauss(0,0.1)
3 Implications théoriques
Dans les années 1940, avec les premières techniques d'enregistrement
et de visualisation de la parole, il semblait qu'il allait devenir
possible de définir des caractéristiques acoustiques invariantes
associées à chaque son de parole (les phonèmes). Selon ce point de
vue, la perception de la parole consisterait à identifier des patterns
acoustiques correspondant, successivement, à chaque phonème. Une fois
les phonèmes identifiés, les mots compatibles avec ceux-ci seraient
recherché dans le « lexique mental ». Cela correspond à un modèle
« montant » (bottom-up) de la perception de la parole (cf.
figure 4A). Les grandes distortions qu'on peut imposer au
signal de parole suggèrent que s'il existe des invariants, ceux-ci
sont assez abstraits.
Des résultats comme ceux de Warren sont généralement interprétés en
supposant que la perception est également influencée par les
connaissances a priori du sujet. Dans les modèles dits
« interactifs » McClelland and Elman, [1986,McClelland and Rumelhart, [1986], cette influence
est due à un feed-back des niveaux supérieurs de traitements (lexique,
sémantique,...) vers le niveau de décodage en phonèmes
(figure 4B).
Figure 4: Modèle montant (A) et interactifs (B) de la perception de la
parole
A | B |
| |
L'expérience originale de Warren (1970) montre-t-elle vraiment qu'il y a
une influence des connaissances lexicales sur le décodage des
phonèmes ?
Les connaissances des sujets influencent leurs décisions, mais il
n'est pas évident qu'elles affectent l'étape précoce de décodage des
phonèmes. En d'autres termes, la réponse des sujets pourrait provenir
d'un biais de réponse post-perceptuel.
Samuel, [1981] a fait une remarque cruciale : les modèles
interactifs prédisent une restauration phonémique plus importante dans
des mots que dans des pseudomots, et il a utilisé l'approche de la
théorie de détection du signal pour séparer les composantes
perceptives et décisionnelles.
4 La théorie de détection du signal
La théorie de détection du signal modélise la prise de décision.
Imaginez le scénario suivant: vous devez détecter un son cible dans du
bruit. L'expérience consiste en une suite d'essais, certains ne
contenant que du bruit, d'autres contenant du bruit et le signal
superposé. Le son cible étant faible, la détection dans le bruit n'est
pas évidente; pour chaque essai, il y a donc quatre possibilités:
|
| Décision |
Cible présente | Non | Oui |
Non | rejet correct | fausse alarme |
Oui | manqué | détection correcte |
À la fin de l'expérience, il y a donc 4 pourcentages, correspondant à
chacune des cases du tableau. En fait, ces 4 pourcentages ne sont pas
indépendants2: la performance d'une personne
peut être caractérisée, par exemple, par le taux de détection correcte
(Hits) et le taux de fausse-alarmes (FA). On peut la représenter par
un point dans un repère FA/Hits.
Par exemple, la figure 5 montre les performances de 3 sujets
(points (a), (b) et (c)). (a) a une performance parfaite ; (c) répond
au hasard et (b) répond systématiquement que le signal est présent
(son taux de fausse alarme est de 100 %). Bien que les performances
de (b) et de (c) soient différentes, on a envie de dire qu'ils ont la
même sensibilité de détection (nulle), mais que leur
biais de réponse sont différents. 3
Figure 5: Diagramme fausses alarmes/détections correctes (FA/Hits)
Ces cas sont extrèmes. Grosso-modo, plus la performance d'un sujet est
proche du point (a) (ou éloigné de la diagonale principale du carré,
d'équation Hits=FA), plus sa sensibilité de détection est bonne. Un
sujet non biaisé correspondra à un point situé sur la petite diagonale
du carré (Hits=1-FA). La théorie de détection du signal fournit à
partir des taux de FA et de Hits, des estimations de la sensibilité et
du biais de réponse.
Suivant la théorie de la détection du signal
Tanner and Swets, [1954], le traitement perceptif d'un stimulus
donne lieu à une réponse interne de l'organisme. La distribution de
cette grandeur est différente selon que le stimulus contient la cible
ou pas. Par exemple, la figure 6 décrit les distributions
provoquées, chez un radiologue, par des clichés de patients ayant ou
non des tumeurs. Sa prise de décision est modélisée par un seuil
(figure 7)
Figure 6: Distributions associées à un stimulus contenant ou non la
cible (Modélisation d'une décision
Figure 7: Effet de la position du critère de décision
Le calcul de la sensibilité (d¢) et du biais 'b (dans le
modèle gaussien à variances égales), à partir des taux de fausse alarme
et de hits, est assez simple :
Où z désigne la fonction inverse de la fonction de distibution de la
loi normale. Autrement dit, z transforme un centile dans en
"Z-score".
Figure 8: Courbes d'iso-d¢ (à gauche) et d'iso-b (à droite
On peut calculer d¢ et b avec un tableur : il suffit de
trouver la fonction inversant la distribution de la loi normale. Dans
OpenOffice Calc, c'est la fonction LOI.NORMALE.STANDARD.INVERSE. Dans
Excel, il semblerait que ce soit NORMSINV.
Certains logiciels de statistiques possèdent des fonctions permettant
calculer d¢ et b. Dans le logiciel de statistique "R"
(http://www.r-project.org), on peut
définir les fonctions :
dprime <- function(hit,fa) {
qnorm(hit) - qnorm(fa) }
beta <- function(hit,fa) {
zhr <- qnorm(hit)
zfar <- qnorm(fa)
exp(-zhr*zhr/2+zfar*zfar/2)
}
5 À vous de jouer: réalisation d'une expérience simple de
détection de signal
Votre mission est de programmer une expérience très simple de
détection d'un ton pur faiblement audible, caché dans du bruit.
Le sujet entend des stimuli bruités, les uns après les autres dans un
ordre aléatoire. Après chaque stimulus, il doit indiquer en cliquant
sur un bouton de la souris s'il pense que le stimulus contient un ton
pur (c.-à.-d. une sinusoïde) ou non.
5.1 Construction des stimuli
Vous pouvez soit récupérer les fichiers bruit.wav et
signal.wav), soit créer les stimuli vous-même:
Avec Praat, générez un bruit blanc durant une seconde, puis un autre
stimulus durant également une seconde et contenant un ton pur
superposé à un bruit blanc. La difficulté est d'ajuster l'amplitude de
la sinusoïde jusqu'à ce que ce qu'elle soit difficilement détectable
(pour que la tâche de détection du ton pur ait un sens). Sauvez ces
sons comme des fichiers bruit.wav et signal.wav
5.2 Programmation de l'expérience
Voici le code python minimal pour jouer un fichier son:
import pygame
pygame.mixer.init(22050) # frequence d'échantillonage
sound=pygame.mixer.Sound('ph1.wav')
channel=sound.play()
while channel.get_busy():
pygame.time.wait(10)
Exercise 9
Compléter ce code pour jouer une suite de fichiers sons.
Quand vous aurez fini, vous pourrez comparer votre code au
suivant.
Remarquez que nous avons définit une fonction play qui joue un
fichier son, et une boucle principale qui lit successivement les
éléments de la variable liste et appelle la fonction play.
Exercise 10
Modifier le code précédent pour que l'ordre des stimuli soit
alétoire (pensez à utiliser random.shuffle)
Exercise 11
Modifier votre code pour détecter le bouton de souris qui est appuyé
après chaque stimulus.
Aide: voir le code suivant:
response = 0
while not(response):
for event in pygame.event.get():
if event.type == MOUSEBUTTONDOWN:
response=event.button
Exercise 12
Modifier votre code pour sauver les réponses du sujet dans un fichier.
Finalement, comparez votre code à celui de
signal.detection.py. Notez qu'il y a
plusieurs façons de programmer la même chose...
6 Faire passer la manip et analyser les résultats
À partir du fichier de résultat, calculer les taux de hits et de
fausse alarme, puis calculer d¢
et b.
7 Modification de la manip
On a vu que la tâche de détection posait un "problème" de biais de
réponse. Une variante consiste à présenter deux stimuli à chaque
essai : l'un qui contient la cible et l'autre qui ne la contient pas.
La tâche du sujet est de désigner lequel des deux stimuli contient la
cible. Cette tâche est appelée "two alternative forced-choice". Il
n'y a pas de problème de biais de décision dans cette situation et la
tâche est un peu plus facile pour les sujets.
Vous pouvez modifier la manip pour implémenter une tâche de
two-alternative forced choice. Selon le modèle théorique présenté dans
Macmillan and Creelman, [2005] le d¢2AFC dans cette tâche devrait être égal à
d¢detect/Ö2 .
8 Réalisation d'une expérience semblable à
celle de Samuel (1981)
Dans l'expérience 2 de Samuel, [1981], les stimuli étaient des mots ou
des pseudomots, dont un phonème avait été soit caché par du bruit,
soit remplacé par du bruit. À chaque essai, le sujet entendait d'abord
le stimulus original, intact, puis une des deux versions modifiées. Il
devait dire si le phonème était juste caché ou remplacé par le bruit.
8.1 sélection du matériel
Sélectionner 20 mots français fréquents, bi ou trisyllabiques,
contenant un son [f], [s] ou [ch]. (utiliser
www.lexique.org)
Inventer 20 pseudomots similaires (mais pas trop ;-).
Enregistrer ces items avec Praat (New/Record mono sound).
8.2 Construction des stimuli
Pour chaque item, il faut construire une version où un bruit est ajouté
sur le phonème critique, et une version ou le bruit remplace le
phonème critique.
Pour additionner un bruit blanc sur un son dans un intervalle
temporel, par exemple [0.693,0.776], dans Praat, utiliser
Modify/formula:
if x>0.693 and x<0.776 then self[col]+randomGauss(0,0.1) else self[col] endif
Il se pose la question d'avoir un niveau de bruit adéquat (c.-à-d. tel
que la tâche de détection ne soit ni trop facile, ni trop difficile).
Voir l'article de Samuel (1981) : celui-ci ajuste le niveau de bruit
à l'energie moyenne du signal remplacé (root mean square).
Il faudra sans doute tâtonner pour trouver les amplitudes adéquates.
8.3 Programmation de la manip
On pourrait utiliser le programme précédent
signal.detection.py. Mais il faudrait construire à priori
toutes les paires 'item_intact item_added' et 'item_intact
item_replaced'. C'est fastidieux mais possible (et cela peut en fait
être automatisé, par exemple dans Praat).
Une autre approche consiste à modifier la boucle principale du
programme signal.detection.py pour qu'il joue le fichier
intact avant le fichier modifié. Si le nom du fichier intact se déduit
facilement du nom du fichier modifié, cette solution est rapide.
8.4 Faire passer l'expérience et regarder les résultats
Reproduit-on les résultats de Samuel (1981) ?
9 Pour poursuivre
À propos des effets lexicaux sur la perception des phonèmes, le débat
n'est pas clos : voir Norris et al., [2000,Samuel and Pitt, [2003].
Ceux intéressés par la théorie de détection du signal pourront lire Macmillan and Creelman, [2005].
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Perceptual restauration of missing speech sounds.
Science, 167: 392-393, 1970.
Footnotes:
1http://www.pallier.org
2Le nombre d'essais contenant la cible ou pas son
fixés à l'avance. Par conséquent, la somme de spourcentage sur
chaque ligne du tableau fait 100%.
3Remarquons que le
biais de réponse peut varier au cours du temps chez le même sujet.
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TEX
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TTH,
version 3.67.
On 20 Nov 2007, 22:42.